Histoires cubaines : les petites choses

Après un mois et demi passé à Cuba, je me suis rendu compte, en arrivant en Colombie, que je m’étais habitué à plusieurs petites choses qui avaient marqué mon quotidien. Elles l’ont parfois enjoué. Elles l’ont souvent rendu difficile. Je les évoque maintenant, quoiqu’il en soit, avec une certaine nostalgie.

Tout d’abord, les étalages des magasins. Lorsque je suis entré dans le premier supermarché colombien, à Cartagena, j’ai été submergé de bouffées de chaleur devant tant d’offres. Je pouvais acheter pratiquement tout ce dont j’avais besoin au même endroit ! La profusion d’articles m’est presque apparue indécente. Quand j’avais besoin de quelque chose à Cuba (parfois une simple bouteille d’eau), il fallait faire trois ou quatre magasins avant de le trouver. Tout achat devenait une sorte de chasse au trésor. La lassitude de la population face à ce manque de biens est frappante. Une petite fille de douze ans a férocement résumé cela, qualifiant Cuba de pays « il n’y a pas » (« no hay »).

Je suis en général très peu attentif aux panneaux publicitaires. A Cuba, la majorité de ceux-ci sont employés par le gouvernement pour appuyer sa politique, glorifiant les héros nationaux passés et présents. Chaque affiche est différente, défend une autre cause, révèle un slogan nouveau. J’y ai toujours prêté attention, curieux de cette diversité, lointaine de nos insipides et navrantes publicités occidentales.

Les cubains sont maîtres de la récupération. Devant le manque de moyens, rien ne se jette, tout se recycle. Les vieilles voitures américaines fonctionnant comme taxis collectifs en constituent l’exemple le plus marquant. On se retrouve ainsi dans un constant décalage temporel, entourés d’objets d’une autre époque. Cela ajoute du charme au quotidien.

Faire la queue est une pratique courante à Cuba, en général devant les institutions d’Etat qui n’ont clairement pas encore introduit dans leurs priorités la satisfaction du client. La population habituée à ces attentes parfois interminables en a développé une stratégie astucieuse, qui peut être déroutante pour le touriste novice. Le nouvel arrivé demande aux gens qui attendent (en général pas du tout en file indienne (!), mais dans un amas sans cohérence apparente) qui est le dernier. Ainsi il sait qui est avant lui et peut profiter du temps qu’il a à attendre pour faire d’autres choses : se mettre à l’ombre si la queue est au soleil, partir un moment si les gens sont nombreux à attendre. Il renseignera la personne venue après lui de sa position dans la queue. Ce système provoque en général des conversations amusantes et un peu absurdes pour définir l’ordre de la queue. Si une personne a le malheur de partir sans prévenir son « ultimo » (dernier), cela peut d’ailleurs créer le chaos dans l’organisation. Si l’on n’applique pas cette méthode, on se fait dépasser de toute part sans scrupule ! J’ai attendu pour avoir une carte pour surfer sur internet une heure et pour avoir des informations sur un billet d’avion deux heures. Ces temps ne sont donc pas anodins.

Je conclurai cette liste en évoquant une caractéristique de la population qui m’a beaucoup touché. Comme je l’ai déjà dit dans un précédent article, les cubains sont intéressés par le monde, recevant une information dans leur pays souvent succincte, et ont un bon niveau d’éducation. Ils sont par ailleurs en général ouverts et enjoués à parler. Les conversations avec un quidam dans la rue sont ainsi fréquentes et souvent d’un intérêt élevé. Je me promenais un dimanche après-midi avec un camarade de l’Université dans les rues de la Havane et il a eu une conversation d’une trentaine de secondes avec un passant, qui avait aidé un aveugle à traverser la rue, qui relevait de la métaphysique !

J’en terminerai là avec cette énumération de petites choses. Il y en aurait sûrement d’autres, tant la vie quotidienne cubaine à quelque chose de spécial, de déroutant pour le nouveau venu, mais d’extrêmement attachant pour celui qui la quitte. Je crois qu’il m’a fallu une bonne semaine pour me réhabituer à la vie en « mode occidental » et que la nostalgie de ce pays se maintiendra un moment encore dans mon coeur.

8 Comments
  1. Ahhhh quelle nostalgie en lisant ces quelques lignes merci de rappeler des choses aussi simples mais qui marquent! Et ce rapport au temps haha fascinant !!

  2. Nostalgie un sujet intéressant pour Cuba, comme pour la Yougoslavie (ex). Nostalgie des utopies peut-être, mais certaines idéologies ont façonnés l’affectif, et notamment la façon de vivre ensemble un peu autrement que notre fichu capitalisme, et pas toujours pour le pire comme on se plaît à le dire !

      • Hablando de las filas interminables, he pensado en la película « LISTA DE ESPERA » de Juan Carlos Tabío ( Fresa y chocolate).
        Sí, los cubanos reciclan, recuperan todo…
        La peli muestra una situación que es tan real y cotidiana como metafórica, con un final de  » vuelta de tuerca ».

        A ti te gusta la música y a mi el cine !

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